Les 900 millions d’euros d’économies à réaliser dans le secteur des soins de santé constituent l’un des plans de réduction des coûts les plus vastes actuellement sur la table en Belgique. En tant qu’expert de l’optimisation des coûts et de la création de valeur, le bureau de conseil Bridgewater analyse les coupes budgétaires annoncées et leur mise en œuvre. Plusieurs acteurs centraux du dossier ont été sondés. Et vous, quelle est votre opinion ?
En schématisant, on pourrait résumer les chances de réussite d’un plan de rationalisation des coûts à une question de cercles. D’une part, une approche constructive entraînera l’ensemble de l’organisation dans un cercle vertueux : les économies permettront de dégager des moyens supplémentaires qui pourront être consacrés à d’autres investissements créateurs de valeur. En revanche, une approche mal ficelée risque d’entraîner l’ensemble des acteurs dans un cercle vicieux : des économies brutales mettent à mal les moyens de production et aboutissent à une destruction de valeur, à laquelle on répond par d’autres économies, et ainsi de suite, jusqu’à la faillite de l’outil.
Qu’en est-il du secteur des soins de santé en Belgique ? Les différents plans successifs annoncés vont-ils générer plus d’efficience ou au contraire dégrader la qualité du service ? Vers quel cercle se dirige-t-on ? Cercle vertueux ou vicieux ?
« Economies sèches »
Depuis qu’elle est entrée en fonction, la Ministre de la Santé Maggie De Block a plusieurs fois provoqué de vives réactions de la part des professionnels du secteur de la santé. Tour à tour, médecins, hôpitaux ou pharmaciens se sont insurgés de l’ampleur des plans d’économies annoncés. Dernier exemple en date : Yves Smeets, directeur général de Santhea, l’association professionnelle qui défend les intérêts des établissements de soins en Wallonie et à Bruxelles, dénonce les 500 millions d’euros d’économies imposées aux hôpitaux du pays entre 2015 et 2017, martelant que le montant ainsi épargné correspond à 8.000 équivalents-temps-pleins dans le secteur.
« En ce qui concerne le secteur hospitalier, les réductions de coûts décidées par la ministre sont en réalité des économies sèches et unilatérales qui ne peuvent pas être contrebalancées par des économies sur nos coûts de gestion, déplore Yves Smeets. Prenons l’exemple de la fin du financement des pansements actifs. Ceux-ci sont toujours proposés aux patients. Pour en compenser le coût, il faudrait donc dégager des économies sur d’autres postes. Or, aujourd’hui, on ne nous propose aucune solution pour améliorer notre structure de coûts. »
Travailler en réseaux
La réforme du secteur hospitalier représente ainsi 92 millions d’euros d’économies qui figurent au budget fédéral de 2017. L’objectif est de réorganiser les hôpitaux en 25 réseaux. Certains services seront ainsi fermés dans certains hôpitaux et transférés vers un autre établissement qui centralisera telle ou telle spécialisation. Il s’agit donc de passer d’une logique d’hôpitaux morcelés à celle de réseaux qui s’adressent chacun à une zone géographique comptant entre 400.000 et 500.000 habitants.
« Pour la réforme du financement des hôpitaux et du paysage hospitalier par exemple, des réseaux entre hôpitaux, avec des hôpitaux de base, de référence et universitaires seront notamment créés, explique-t-on au cabinet de la Ministre Maggie De Block. Dans ce contexte, la technologie onéreuse, par exemple, sera attribuée à un réseau et pas à un hôpital. Un nouveau système de financement sera également mis sur pied. Le point de départ est que le coût réel des soins pour le patient est remboursé, mais ces soins doivent être justifiés et corrects. »
En tant que rédacteur en chef du Journal du Médecin, Vincent Claes est un observateur aguerri de toutes les problématiques qui tournent autour des soins de santé. Pour lui, il est possible d’améliorer l’efficacité du secteur des soins de santé : « La vraie difficulté, c’est qu’il s’agit d’un paysage très morcelé. La réalité n’est pas la même pour tous les acteurs. Ils sont souvent d’accord pour faire des économies… mais sur le secteur de leur voisin. Or, dans certains domaines, on commence à arriver à l’os. C’est précisément le cas pour l’hospitalier ou les maisons de repos. »
« Depuis 25 ans, un important travail de rationalisation a déjà été fourni. Nous sommes ainsi passés de 250 à 100 hôpitaux, précise Yves Smeets. Jusqu’à présent, l’effort avait été encadré par un plan d’accompagnement et de mesures concrètes qui permettaient d’amortir le coût des restructurations. C’est ce qui nous manque aujourd’hui. Or, un hôpital n’est pas libre de ses prix. La marge de manœuvre est donc très limitée. »
Réformes nécessaires
Du côté du cabinet de la ministre De Block, on maintient qu’une réforme en profondeur est nécessaire pour garantir la qualité des soins administrés aux patients : « L’objectif final est de maintenir la qualité, l’accessibilité et la durabilité de nos soins de santé. Nous voulons donner les meilleurs soins possibles à nos patients, en continuant par exemple à investir dans les traitements innovants et la médecine personnalisée. Il est pour cela nécessaire de réformer les systèmes et structures existantes et d’évoluer avec la société, les changements technologiques et donc les besoins des patients. »
Pour réaliser ses objectifs, la ministre Maggie De Block a mis en place une procédure qui accorde une large place à la concertation qui inclut la cellule stratégique de son ministère et des représentants des hôpitaux, des médecins et des mutualités.
Des concertations bilatérales sont également menées avec d’autres intéressés: infirmiers, autres prestataires, associations coupole de patients, partenaires sociaux, financiers, assureurs, etc. Les organes consultatifs légaux ainsi que les entités fédérées sont également associés à la réflexion.
Où se situe dès lors le problème ? Vincent Claes, du Journal du Médecin, a son idée sur la question : « Dès sa prise de fonction, la Ministre a lancé différents chantiers sans en chiffrer précisément l’impact. Ainsi, par exemple, lorsqu’elle a présenté son plan avec un horizon fixé pour 2022, elle avait beaucoup insisté sur le fait que son approche n’était pas économique. Or, que constate-t-on ? A chaque nouvel exercice budgétaire, on retrouve les chantiers et on découvre les montants des économies à réaliser. Bien entendu, il existe tout un travail de concertation avec les acteurs du terrain, mais au final, c’est la Ministre qui décide de la direction à suivre au niveau budgétaire. »
Yves Smeets abonde dans le même sens : « Notre sentiment est que les économies qui sont décidées par la Ministre sont avant tout basées sur des impératifs budgétaires. Nous sommes bien évidemment d’accord d’entreprendre des réformes. Mais celles-ci doivent aussi tenir compte de la liberté thérapeutique, de la liberté des patients et de la liberté des médecins afin de contrebalancer la réalité budgétaire. Pour mener à bien ces réformes, nous avons besoin d’un cadre de travail acceptable qui garantisse la confiance mutuelle. A ce stade, on nous impose d’abord des économies sans fournir la moindre garantie par rapport au cadre de travail. Tout cela mène forcément à une rupture de confiance. »
Objectifs communs
Yves Smeets en appelle dès lors à un dialogue entre la ministre et les acteurs de terrain afin de dégager un consensus autour des objectifs à atteindre. Car déjà sur ce point, les opinions divergent. Il en va de même sur le constat de départ. Du côté du cabinet de la Ministre Maggie De Block, on insiste sur la nécessité de rationaliser les coûts sans toucher à la qualité des soins : « Les dépenses de la Belgique en pourcentage du PIB (8,31% du PIB) sont un peu plus élevées que les 15 pays européens-clés (8,29% du PIB) et que les 28 états-membres européens (8,01% du PIB). Si l’on compare avec nos pays voisins, le constat est cependant plus nuancé: nous dépensons plus en soins de santé que le Luxembourg (5,84% du PIB), mais moins que l’Allemagne (9,54% du PIB), la France (9,11% du PIB) et les Pays-Bas (10,18% du PIB). Le volume des dépenses ne reflète cependant pas la qualité, l’efficacité, l’accessibilité et la rapidité des soins. Car grâce à toutes les mesures prises, nous parvenons à garder nos soins de santé très accessibles : la Belgique est numéro un en Europe en matière d’accessibilité selon l’indice européen de la santé de la Health Consumer Powerhouse. Et nous pouvons rembourser les traitements innovants qui sauvent des vies. »
Néanmoins, d’autres indicateurs sont mis en avant par Santhéa comme par exemple la rémunération du personnel de soin qui est inférieure en Belgique par rapport à des pays comme la France ou la Suisse. Autre donnée intéressante : l’encadrement médical. Dans les hôpitaux belges, un membre du personnel infirmier s’occupe en moyenne de 10,8 patients, alors que la moyenne européenne est de 8,4. Faut-il y voir un risque de dégradation de la qualité des soins pour le patient ? Yves Smeets n’est pas très optimiste : « Il existe des études sur l’encadrement médical qui mettent en avant les risques du sous-personnel. Le taux de mortalité dans les hôpitaux peut ainsi être corrélée au sous-encadrement. »
Vices ou vertus ?
Tous les acteurs rencontrés sont d’accord sur la nécessité d’une réforme du secteur des soins de santé. L’informatisation des dossiers médicaux par exemple, dont la finalisation est programmée pour 2018, pourrait éviter bien des dépenses inutiles. Le vrai problème se situe plutôt au niveau des divergences d’opinions quant aux objectifs à atteindre. Car il faut bien constater qu’avec les réformes proposées, nos interlocuteurs ne voient pas l’avenir du même œil. Du côté du cabinet de la ministre De Block, on met en avant les aspects vertueux de la démarche, en rappelant que le paysage des soins en Belgique de santé ne perdra rien de sa qualité ou de son accessibilité, mais coûtera au final moins cher à la collectivité. A l’inverse, tant Yves Smeets que Vincent Claes s’inquiètent de conséquences qu’ils jugent néfastes et mentionnent d’ores et déjà quelques exemples comme la fin du financement des pansements actifs ou la limitation drastique de la prise en charge des séances de kinésithérapie pour les patients souffrant de fybromyalgie. Selon eux, on se situerait plutôt dans un cercle vicieux.
Exploiter le potentiel du Big Data
Selon Florent Hainaut, Cost-Savings Strategist au sein du bureau de conseil Bridgewater, une meilleure utilisation des technologies permettrait d’ores et déjà d’alléger la facture des frais inutiles et évitables que doit supporter chaque année la communauté : « Aujourd’hui, nous avons à notre disposition une grande quantité de données. L’un des défis majeurs consiste à mettre en place les applications pour en exploiter le potentiel, dans un souci d’efficience. On pourrait ainsi imaginer que ces données pourraient servir à éviter de prescrire plusieurs fois les mêmes examens au même patient ou même prévenir les cas de patients qui ne se présentent pas aux consultations. Le Royaume-Uni par exemple a développé un système d’alerte par SMS qui rappelle les rendez-vous aux patients et insiste sur la nécessité de prévenir le médecin en cas d’annulation. Les messages expliquent notamment les conséquences et le coût pour la société des rendez-vous manqués. »
« Le projet de E-Health vise précisément à rationaliser la prescription de certains actes techniques, par exemple des radiographies ou des analyses de biologie médicale, qui sont parfois réalisés plusieurs fois sans que le médecin prescripteur en soit informé, ajoute Vincent Claes. L’utilisation des données pourrait aussi servir à mieux gérer les nombreux médicaments qui sont prescrits – et dont une partie du coût est prise en charge par la sécurité sociale – sans pour autant être consommés. »
« C’est bien entendu un défi important pour le secteur hospitalier, renchérit Yves Smeets. L’informatisation du dossier médical devrait éviter ces gaspillages. Mais on nous demande d’être prêts pour la fin 2018 alors qu’il faut rattraper plus de 20 années de sous-investissement dans nos systèmes informatiques. C’est difficilement tenable. »
« Aujourd’hui, les ressources existent et la Ministre a clairement indiqué sa volonté d’avancer dans l’informatisation de la santé, conclut Florent Hainaut. On voit dès lors qu’il est possible de générer des économies en investissant dans la technologie et en accordant une attention particulière à une meilleure allocation des ressources. Toute la difficulté consiste à gérer ce nouveau flux d’informations et de données. Le projet E-Health en est un bon exemple. Or, il peine à donner des résultats. Il faut dès lors s’interroger sur les causes de cette inefficacité et notamment vérifier si les applications censées gérer les masses de données sont capables de communiquer entre elles. C’est en général le premier obstacle à une utilisation rationnelle du potentiel du Big Data. »
En tant qu’expert indépendant de l’optimisation des coûts et de la création de valeur, Bridgewater publie régulièrement des conseils pratiques pour les organisations qui souhaitent rationaliser leurs dépenses. Découvrez nos articles récents :
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